Aujourd’hui, on se retrouve pour parler de l’investissement en private equity pour les particuliers. C’est un thème que j’ai beaucoup travaillé en écrivant le livre, et qui est au cœur de l’actualité financière, entre la crise de ce marché, le marketing agressif envers le grand public et les évolutions réglementaires. Il faut absolument que l’on fasse le point dessus.
Mais déjà, le private equity, qu’est-ce que c’est ? Derrière l’anglicisme, c’est un placement qui te fait entrer au capital d’entreprises non cotées en bourse : tu deviens copropriétaire d’une start-up en amorçage, d’une PME qui veut accélérer sa croissance, ou d’une entreprise déjà établie qui cherche une nouvelle phase de développement. Contrairement à une action cotée, ton investissement finance souvent directement l’activité et ta performance dépend essentiellement d’une sortie réussie : revente à un industriel, rachat ou introduction en Bourse.
Sache qu’il existe trois moments privilégiés pour entrer au capital d’une entreprise en private equity.
Le premier, l’amorçage de start-ups non rentables, est le plus risqué : beaucoup d’entreprises échouent, mais celles qui se démarquent peuvent créer des multiples très importants. C’est le cas de Doctolib, qui a commencé comme une start-up innovante dans la santé et qui, grâce à son succès rapide, a généré des retours exceptionnels pour ses premiers investisseurs.
Le deuxième, le « growth », concerne des sociétés ayant déjà démontré la viabilité d’un produit ou d’un marché, et cherchant à industrialiser leur croissance.
Le troisième, le capital-transmission, vise des entreprises matures où l’optimisation opérationnelle et financière permet de générer du rendement avec un profil de risque relativement plus mesuré.
Chaque stade exige une tolérance au risque différente et des horizons de détention distincts. Pour un particulier, la règle la plus sage reste de diluer ce risque important en investissant dans un panier de titres plutôt que de faire des paris isolés. C’est le rôle des fonds d’investissement en private equity, gérés par des professionnels qui choisissent les start-up qui valent le coup d’être financées.
On montre souvent le private equity comme une source de surperformance par rapport aux actions cotées — et il y a des chiffres qui vont dans ce sens : + de 12% de rendement annuel net de frais visé pour les meilleurs fonds — mais cette promesse a un prix : le capital est immobilisé, la liquidité est faible, et le risque de perte en capital est nettement plus élevé que pour des titres cotés. Les rendements élevés de cette classe d’actifs reposent sur la mécanique spécifique d’appel des capitaux. Traditionnellement, un investisseur s’engage sur un montant mais il envoie l’argent progressivement, seulement quand le fonds le demande. Cela permet de ne pas immobiliser tout le capital d’un coup et de l’utiliser au bon moment. Par ailleurs, une grande partie de la performance historique provient de l’effet de levier : les fonds d’investissement empruntent pour amplifier les rendements. Ce levier rend le private equity très sensible aux cycles de taux d’intérêt : quand les taux sont bas, l’emprunt coûte peu et les valorisations peuvent monter ; quand les taux remontent, le financement se renchérit et il devient plus difficile de générer de fortes plus-values.
Malgré tout, le private equity n’est pas un investissement miracle. Contrairement à une idée reçue, il reste corrélé aux marchés financiers publics, sa volatilité est juste moins visible parce que les valorisations sont publiées moins fréquemment. Affirmer que c’est un placement idéal pour diversifier son patrimoine est mensonger, mais c’est un des arguments marketing qui revient le plus souvent.
D’autant plus qu’en 2025, le contexte du private equity est un peu particulier. Depuis la période de taux historiquement bas pendant la décennie 2010, les conditions de financement se sont durcies. Autrement dit: le levier coûte plus cher et quand le levier coûte plus cher, la rentabilité diminue. Autre conséquence directe : l’activité transactionnelle ralentit. On voit moins d’opérations, moins de fenêtres de sortie et des valorisations sous pression. En clair, les périodes de détention s’allongent : les fonds gardent les entreprises plus longtemps parce qu’il est plus difficile aujourd’hui de trouver un acheteur à un bon prix. En parallèle, certains investisseurs institutionnels ont fait le choix de stabiliser ou même réduire leur exposition au non-coté ces derniers mois, diminuant la capacité du marché à absorber des ventes.
Mais alors pourquoi on en parle partout ?
Parce que pour vendre, il faut bien trouver des acheteurs. Comme les acheteurs traditionnels se sont un peu découragés, l’industrie a élargi ses horizons: on trouve désormais un grand nombre d’offres grand public. Cette ouverture est d’ailleurs encouragée par les pouvoirs publics, notamment avec la controversée loi industrie verte de 2023 qui impose l’investissement d’une partie de l’épargne des assurances vie et des PER vers le financement des petites et moyennes entreprises. Concrètement, ça arrange tout le monde :
• les acteurs du secteur, qui peuvent recruter de nouveaux investisseurs ;
• et les pouvoirs publics, qui cherchent des financements pour les PME quand le crédit bancaire se montre limité.
La démocratisation du non-coté peut sembler séduisante mais garde en tête que c’est un marché qui conserve encore une vraie opacité, notamment sur les frais et ce dans quoi ton argent est réellement investi. Le marketing est aujourd’hui très agressif, avec l’apparition d’un nouveau vocabulaire comme “private wealth”, “private markets” etc. Beaucoup de discours jouent sur le FOMO, la peur de rater la prochaine success-story, alors que le marché tourne objectivement au ralenti. Méfiance donc. Garde en tête que, malgré le storytelling séduisant, le private equity n’est pas un substitut aux placements liquides et diversifiés. Si tu veux en avoir, c’est pour une part minoritaire de ton patrimoine, après avoir construit une base d’actifs traditionnels qui ont fait leurs preuves comme des fonds actions notamment indiciels, de l’immobilier et des obligations.
En pratique, tu peux accéder au private equity de plusieurs façons. La voie traditionnelle est celle des grands fonds d’investissement réputés, à l’accès restreint exclusivement aux professionnels de la finance, aux investisseurs institutionnels et aux très grandes fortunes. C’est ce placement qui offre l’espoir des meilleurs rendements, jusqu’à 18% par an, et qui a forgé la réputation de la classe d’actifs, au prix d’une illiquidité qu’il faut bien envisager : le capital est investi pour une douzaine d’années ! Sur les fonds à période d’investissement fixe, il y a un risque de millésime — selon la période où le fonds investit, le rendement peut varier beaucoup.
Certains acteurs comme Altaroc ou Archinvest en France cherchent à ouvrir l’accès via des solutions agrégées, mais attention à l’empilement des frais. Les tickets d’entrée restent tout de même de plusieurs dizaines de milliers d’euros, et comme le private equity doit rester une part minoritaire de ton patrimoine, en tant que placement alternatif, ces agrégateurs de fonds de grande qualité visent des profils au patrimoine très élevé.
Mais comme on l’a dit, la tendance en 2025, c’est l’uberisation du marché avec des plateformes grand public comme Fundora ou Trade Republic. Elles proposent aujourd’hui d’investir dans des fonds plus lambdas à partir de quelques euros, sur compte titres ordinaire ou en direct. Ces formules offrent plus de praticité, une meilleure accessibilité et une vraie liquidité, mais les rendements attendus sont beaucoup plus modestes. Ces fonds vont généralement utiliser un fonctionnement evergreen. C’est-à-dire qu’ils sont accessibles en permanence, sans période de souscription limitée. Contrairement aux fonds millésimés, ils permettent d’investir ou de retirer à tout moment, ce qui les rend plus adaptés au grand public. En contrepartie, ils affichent souvent moins de performance, car les gérants doivent conserver une part de liquidités pour gérer les entrées et sorties. De plus, les particuliers arrivent souvent « après coup » : les entreprises à très fort potentiel se raréfient dans ces fonds accessibles au grand public, et l'investissement passe par plusieurs intermédiaires ce qui occasionne des frais proportionnellement plus élevés (plus de 3% généralement), ce qui pèse sur les performances réelles. In fine, ces fonds grand public ne réalisent jamais les mêmes performances que ce qui avait été promis.
L’Autorité des marchés financiers a publié une étude sur la performance des fonds destinés aux clients particuliers. On constate par exemple que les fonds grand public défiscalisants sont à l’origine d’un rendement négatif sur les séries observées. Globalement, les performances promises par les offres grand public ne sont pas au rendez-vous, notamment à cause de frais très importants et d’une moindre qualité des investissements sous-jacents.
Pour autant, tout n’est pas à jeter dans les options grand public. Déjà, si tu es imposé sur le revenu, privilégie l’investissement via des enveloppes défiscalisantes quand c’est possible: l’assurance-vie ou le plan d’épargne retraite : ces enveloppes vont différer ou réduire l’imposition sur les gains, augmentant par là ton rendement global. Comme avec les acteurs Fintech dont on parlait avant, tu peux diversifier facilement sur plusieurs fonds, avec une gestion centralisée. Cherche des contrats d’assurance vie ou PER nouvelle génération peu gourmands en frais de gestion, je pense par exemple à Lucya, Ramify et Linxea, et qui donnent accès à des fonds de private equity avec un historique de rendements nets de frais compétitifs. Il y en a quelques-uns qui peuvent valoir le détour, proposés par des sociétés de gestion comme Eurazeo, Tikehau capital, Opale, Peqan etc. Pense à diversifier ton investissement sur des fonds répartis sur des segments différents du private equity et dans des zones géographiques différentes. Attention, sache que même si tu peux revendre tes parts de private equity sur une assurance-vie à tout moment, grâce à la présence de l’intermédiaire de l’assureur, la valeur de ton investissement dépend de la valorisation du fonds le jour où tu retires ton capital. Ton capital va généralement d’abord baisser les premières années avant de performer en fin de vie du fonds, c’est ce qu’on appelle la courbe en J. Si tu sors trop tôt, tu risques donc de vendre en bas de la courbe.
Il existe une dernière option que je te déconseille d’emblée: investir indirectement en private equity avec des actions des sociétés de gestion (exemple: Eurazeo, Blackstone…) ou via un ETF private equity. De cette façon, tu n’as pas d’exposition véritable au private equity car tu paries sur les profits de ces gérants, pas sur la performance des portefeuilles d’investissement. De plus, la volatilité y est beaucoup plus élevée, te faisant perdre par là un des avantages de l’actif.
Le mot de la fin
L’investissement en private equity n’est pas l’opportunité du siècle telle qu’on nous la présente. On a vu que la perspective de performances plus élevées que les marchés actions publics n’est réservée que pour les fonds top-tier réservés aux plus fortunés. Pour le commun des mortels, inclure du private equity dans son patrimoine n’est certainement pas indispensable pour investir efficacement. Mais si tu veux tenter l’expérience, fais-le avec des faibles montants en regard de ton patrimoine global, seulement après avoir sécurisé une base d’actifs plus traditionnels tels que les actions, les fonds cotés et l’immobilier. Ne mets dans le private equity que ce que tu es prêt à immobiliser longtemps et éventuellement à perdre en capital sans compromettre tes objectifs. Pour la plupart des profils, une exposition modeste (quelques pourcents du patrimoine financier) suffit pour capter une prime potentielle sans mettre en péril ta liquidité ou tes projets.
Merci de m'avoir lu jusqu'au bout, si l'article t'a plu n'hésite pas à le partager à ceux qui pourraient en bénéficier !
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